Rencontre du troisième type

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Rencontre du troisième type

Les novillos partis, un clos est vide.

Aujourd’hui, le thème est le suivant. Il faut rassembler, puis accompagner les erales (2ans) vers les corrals, trier le desecho , apparter une novillade et renvoyer vers leurs pénates les animaux non sélectionnés.

En effet, une novillada (ou une corrida) se prépare à l’avance. Les animaux sélectionnés par le mayoral sur des critères physiques et de généalogie sont parqués ensembles afin, par exemple, de les nourrir plus que les autres. Ils doivent prendre du poids et se fortifier. En outre, le temps passé ensemble ne fera que renforcer l’uniformité du groupe. Ainsi, on le souhaite, ils sortiront le jour J plus ou moins homogènes.

Donc…. Feu…..

Les érales, une cinquantaine, sont en liberté dans un clos d’une centaine d’hectare. Au son du tracteur et de la voix, ils s’approchent. Je suis juché sur la remorque, les pieds dans le vide, un sac de pastilles de luzerne à mon côté. Javi prend la direction des corrals. Les animaux nous suivent, attirés par les quelques gâteries (des pastilles de luzerne) que je leur balance régulièrement.

Ils nous suivent en groupe, un peu turbulent, certains se battent, d’autres sont nettement plus préoccupés par la nourriture…. Cela ressemble presque à une sortie scolaire. On les entraine à ça depuis quelques mois et sur ce trajet depuis une semaine .Ça fonctionne à merveille, ils passent tous en 2 fois. On les rentre dans les corrals, et fini le parcours en courant vers les chiqueros.

Il y a près de 50 bêtes dans 50 m2, la poussière trouble la vision et la respiration. On crie, pousse ; les erales rentrent peu à peu dans les chiqueros, le soleil est brulant, les gorges s’assèchent et l’attention faiblie. Un dernier groupe de 6 à 10 bêtes stationne devant la porte d’entrée des chiqueros, s’arrete… fait demi-tour.

On avance à coup de cordes vocales. Le 15 se détache, me charge avec franchise. Dans la poussière je ne le vois pas démarrer. Je fais demi-tour cours vers le burladero le plus proche….

Erreur, même erreur pour la deuxieme fois en 2 mois (le dernier coup avec le 6, semental de 7 ans)… ce burladero est trop étroit, mal fait, il penche vers le mur, et, je le sais pourtant, je n’y rentre pas… Sanction…. La moitié de mon corps s’introduit comme un bouchon trop grand dans un goulot trop étroit… La moitié droite de mon corps reste dehors et refuse obstinément de passer. Il est là… avec ses cornes et toute sa force. Baisse la tête, et balance un, deux, dix, quinze coups de cornes de haut en bas. Par trois fois il touchera ma cuisse et le dernier coup vers le ciel me racle la poitrine… Six secondes d’éternité.

La première seconde fut de terreur. Puis, le cerveau reprend ses droits, et entame une grande conversation solitaire.

« Mais pourquoi es-tu le vacher le plus con du monde ? ! .. Tu le sais que tu ne passes pas derrière ce burladero, tu avais le temps d’aller à l’autre…. C’était court, mais tu avais le temps…. Bon, maintenant que faire, je pousse mais ça ne rentre pas, et l’autre qui me pègue tout ce qu’il sait… ne se lasse pas… je vais devoir lui coller un coup de pompe dans le museau…. Oui, mais si je le fais, il va se rappeler ou je suis… donc…. … … » Donc il est parti….. Las….je me touche la cuisse. Rien. Le groupe rentre dans les chiqueros et Javi, mort de rire me demande « Dis-moi ! Cette chaleur dans ton froc……c’est de la merde ou du sang ????? ». Fabrice, Javi et moi on se marre, Joe venu admirer le travail, reste pétrifié! Ce n’était donc pas pour aujourd’hui.

La suite se passe sans soucis.

Il me reste une impression étrange. Pendant dix minutes, j’ai le sentiment d’être immortel.

Tous mes sens sont en éveil. J’ai une forme éblouissante.

Puis il m’entre une grande fatigue. Je pense à la chance que je viens d’avoir et au danger de ce métier. Enfin, me vient une pensée étrange. Comme un sentiment d’inachevé. La corne a touché. Mais n’a pas pénétrée la chair. Je ne saurais dire pourquoi mais cela me rappelle ces soirées ou, ayant croisé une jeune femme, l’ayant séduite, embrassé, caressée, tu rentres chez toi sans avoir consommé les fruits de la victoire….

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